Chronique
Bénin : un tourbillon quadragénaire autour de la succession de Talon
Ouverte ou fermée, selon qu’on saute ou non le verrou des parrainages, la présidentielle de 2021 n’échappera pas à une inévitable mutation générationnelle. Impulsé par une jeunesse politique de plus en plus entreprenante, le rajeunissement de la classe politique déjà noté aux dernières élections législatives et communales, semble constituer un avant-goût de la présidentielle prochaine. Hormis le chef de l’Etat, dont la candidature est encore hypothétique car ayant déclaré devant Dieu, le Peuple, les mannes de nos ancêtres et la communauté internationale, ne voulant faire qu’un seul mandat, tous les autres potentiels présidentiables susceptibles de le remplacer sont des quadragénaires. Frédéric Joël AÏVO, Moïse KEREKOU, Komi KOUTCHE, Romuald WADAGNI, Éric Houndété, et autres s’annoncent dans le tourbillon de la succession.
Un nouveau cycle est inévitablement enclenché dans le ciel de l’échiquier politique béninois. Lorsqu’on scrute ces derniers mois attentivement l’activité politique dans ce pays connu jusqu’ici comme berceau démocratique africain, on se rend à l’évidence de l’émergence d’une nouvelle génération d’acteurs sur la scène publique. Ces nouvelles figures qui se révèlent de plus en plus témoignent de la métamorphose en cours au sein de la classe politique. Bien évidemment, ce renouvellement du personnel politique va de pairs avec de nouvelles habitudes et pratiques qui transforment les mœurs politiques, faisant ainsi disparaître progressivement ceux d’antan.
Concernant les acteurs, la mue a commencé depuis l’élection présidentielle de 2016, soldée par l’échec du candidat des trois grandes formations politiques de l’époque(FCBE, PRD, RB) au profit de celui porté par des petits mouvements de jeunes et de femmes des quartiers de ville et des hameaux. Ainsi, on a assisté à un bouleversement au sein de la gouvernance politique avec l’apparition de jeunes acteurs au niveau décisionnel. Ces nouveaux acteurs sont pour l’essentiel des artisans de la victoire du Président Talon. Cette situation a entraîné une mise sous éteignoir de moult faucons et doyens de la classe politique comme Albert Tévoédjrè, Bruno Amoussou, Mathurin Nago, Antoine KolawoléIdji…pour ne citer que ces cas. La nature ayant horreur du vide, dans un contexte international marqué par l’élection à la magistrature de plus en plus de jeunes, il va de soi qu’on voit aujourd’hui une montée en puissance progressive de la jeunesse au sein de la classe politique. A titre illustratif, les dernières élections communales ont débouché sur l’élection d’un nombre non négligeable de jeunes dans la plupart des conseils communaux et municipaux et la nomination de plusieurs jeunes maires, en majorité des trentenaires. Cette émergence juvénile dans le jeu politique est annonciatrice d’une élection présidentielle inédite. En tout cas, les développements de l’actualité politique nationale indiquent bien que plusieurs quadragénaires ne rateront pas au rendez-vous dans la perspective de la succession de Patrice Talon dans sept mois.
Une présidentielle inédite
Inscrite dans l’air du temps politique de la jeunesse sur le plan international, la tendance de renouvellement du personnel politique observé à l’issue de la présidentielle de 2016 et des scrutins qui s’en sont suivis devrait se renforcer avec la présidentielle de 2021 au Bénin.
D’ailleurs, depuis l’avènement au pouvoir d’Emmanuel Macron en France en mai 2017, nombre de jeunes politiques naguère confinés dans les seconds rôles en Afrique sont de plus en plus motivés à faire valoir leurs potentialités à conquérir et à gérer le pouvoir d’État. Du coup, les vieilles gardes, qui pendant longtemps avaient pion sur rue dans la sphère politique, se trouvent pratiquement ébranlées. C’est la fin d’une ère et le début d’une autre où la jeunesse commence à dicter sa loi sur la scène politique. L’exemple le plus récent sur le continent est l’élection de Umaro Sissoco Emballo, 46 ans à peine, à la tête de la Guinée Bissau. Aussi, ne devrait-on pas passer sous silence le bon score d’Ousmane Sanko, 45 ans, à la présidentielle de 2019 au Sénégal. On est bien tenté d’évoquer un nouveau printemps politique en Afrique caractérisé par le tourbillon des quadragénaires. Ravageant les vieilles gardes sur son passage, le tourbillon des quadragénaires s’avance vers le Bénin. Et il n’est pas exclu que la présidentielle de 2021 soit le tournant politique pour le Bénin de propulser également un quadragénaire pour rester en phase avec l’histoire. Et pour cause, en dehors du chef de l’Etat dont la candidature fait objet de vives polémiques à cause de sa promesse personnelle de mandat unique – à l’allure de serment prononcé le 06 avril 2016 jour de sa prise de pouvoir - , tous les autres potentiels présidentiables, dont les profils ne manquent pas de retenir l’attention, sont des quadragénaires.
A 40 ans, tout est maintenant possible et les candidatures à prendre aux sérieuses sont :
Le premier est le professeur Frédéric Joel Aïvo. Cet universitaire connu pour ses prises de position en faveur de la démocratie et du respect de l’ordre constitutionnel est aujourd’hui le personnage le plus en vue pour briguer la magistrature suprême en cas d’alternance. Depuis plusieurs mois déjà, il sillonne villes et hameaux du Bénin pour parler d’engagement citoyen, de nécessité de restaurer la démocratie et l’Etat de droit, forçant ainsi l’admiration dans un contexte national très risqué de répression systématique de tout discours opposé à celui du pouvoir en place. Même si officiellement il n’a pas encore dit qu’il sera candidat à la présidentielle de 2021, il n’y a pas de doute sur son ambition politique.
Chose moins évidente pour Komi Koutché. L’ex argentier national qui n’a pas, comme l’universitaire spécialiste du Droit Constitutionnel, la chance d’être sur le territoire national pour sillonner le pays, agite sa candidature auprès de certaines personnalités politiques de l’opposition en exil. Condamné à vingt ans de prison ferme par la Cour de Répression des Infractions Economiques(CRIET) pour mauvaise gestion à la tête du Fonds National de Microcrédit, sa candidature ne devrait être possible qu’en cas d’un compromis politique sur l’amnistie et le retour au Bénin de tous les exilés politiques. Pourtant, il y croit dur comme fer et y travaille grâce à son puissant réseau de soutiens et de fans essaimé dans tout le pays, surtout de département des Collines qu’on dit être sa chasse gardée.
Romuald Wadagni lui, tisse sa toile à l’ombre du baobab présidentiel. Le jeune argentier national sorti frais du cabinet français d’expertise comptable Deloitte forge tranquillement un destin présidentiel à travers ses prouesses au Gouvernement. Il pourrait surfer sur l’argument d’avoir battu les records de tous ses aînés et prédécesseurs en faisant du Bénin un pays à revenu intermédiaire selon certains organismes internationaux. D’après les classements de ces organismes qui continue d’alimenter la polémique au niveau interne, le Bénin sur le plan budgétaire malgré les chapelets d’emprunts obligataires aurait amélioré ses scores dans tous les agrégats micro et macroéconomiques.
De quoi constituer un levain flatteur pour le jeune ministre des finances qui pourrait tirer de ses classements, un meilleur appui pour se frayer le chemin au milieu de la cour des jungles du camp présidentiel. Peu disert et rationnel, Romuald Wadagni bénéficie d’une estime de son chef et de nombreux fans club et cercles de jeunes défilent dans son cabinet pour lui faire allégeance. Il finance aussi discrètement plusieurs œuvres et activités sociales, surtout dans la 18è circonscription électorale (Lokossa, Houéyogbé, Bopa) où il a pion sur rue. En 2021, sa candidature pour la présidentielle ne serait guère une surprise. Il pourra compter sur le soutien et l’estime du chef de l’Etat mais aussi et surtout sur son réseau de relations dans les milieux financiers internationaux, des opérateurs économiques acquis à sa cause et des alliés politiques de sa localité.
Annoncé aussi dans plusieurs états-majors politiques et des lobbies internationaux, l’Ambassadeur Moïse Kérékou apparaît de plus en plus comme un challenger sérieux. Sa probable candidature est prise au sérieux dans certains milieux politiques. Il est vu par plusieurs analystes politiques comme ayant la carrure et les qualités d’Homme d’Etat pouvant défendre la cause panafricaniste. Dernier Ambassadeur de Paix nommé par le Prof. Albert Tevoédjrè quelques mois avant son décès, il est perçu comme un homme de paix pouvant faire le trait d’union et le consensus dans un contexte de radicalisation des deux camps politiques actuels.
Discret, humble, sensible à la cause des démunis, et réputé bon négociateur, premier ambassadeur du Bénin en Turquie, il a pied sur terre dans le monde arabe, apprécié par les français et très proche de l’ex-président Obansandjo. Son arrivée au pouvoir pourrait rapidement décrisper la crise actuelle avec le grand voisin. L’homme dispose d’un riche carnet d’adresses à l’international et d’une bonne connaissance de la culture des peuples. Sa discrétion, selon plusieurs sources, serait à l’inverse de la densité du travail de sous marin abattu pour son compte par ses soutiens. L’homme est neuf, et apparait, de part ses origines familiales, comme la synthèse de l’unité et de la cohésion nationale ; valeurs chères incarnées par son feu père le Général Mathieu Kérékou qui reste dans l’esprit de bon nombre de béninois, un Homme d’Etat hors pair.
La jeunesse béninoise, majoritairement déçue par cette vieille classe politique qui profite d’elle depuis 1991, a compris, avec les derniers bouleversements politiques intervenus dans le pays dans la foulée des législatives de 2019, que le temps est venu pour elle de prendre ses responsabilités. Il est temps pour elle d’injecter du sang neuf à l’appareil d’État. Et ce challenge risque d’influencer fortement leur choix pour la prochaine présidentielle. A cette allure, on s’aperçoit qu’a 40 ans au Bénin, tout devient possible.
M. Z
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