Bénin

Corruption : étude comparative des luttes contre le fléau sous Kérékou, Soglo, Yayi et Talon

L’investigateur 18/02/2022 à 17:24

La récente décision du gouvernement d’installer à la présidence de la république une cellule d’analyse et de traitement des plaintes et dénonciation des faits de corruption autorise le citoyen à réfléchir une fois de plus sur le phénomène et à émettre, de manière discursive, son avis sur le sujet.

Il est une évidence que la corruption perdure dans notre pays en faisant résolument un pied de nez à toutes les mesures prises à son encontre jusqu’alors. Peut-être devrions-nous avoir l’honnêteté de reconnaitre, à notre corps défendant assurément, qu’il en est ainsi parce que nous avons fini par nous accommoder du phénomène de quelque manière, d’autant que l’aveu d’impuissance face à ce fléau est maintenant patent. Mais avant tout développement, l’on nous permettra de recadrer la notion de corruption ainsi que ses manifestations à travers les âges si tant est que pour appréhender le présent il sied d’explorer le passé.


Recadrage de la notion et des manifestations de la corruption

J’ai, à n’en point désemparer, toujours eu froid dans le dos quand j’entends des concitoyens déclarer de péremptoire manière, sur les antennes de télévision et à des heures de grande écoute, que la corruption est un fait lié à l’espèce humaine et profondément enraciné dans notre tradition. Il est me parait évident que de telles assertions ne sauraient avoir d’autres effets induits que de conforter ce fléau dans les esprits. Et le comble, c’est qu’elles ne sont pas véridiques. Dans notre tradition, les libéralités dont l’on gratifie quelqu’un qui vous a rendu service ne sont point de la corruption. J’ai grandi et atteint l’âge du discernement sans jamais avoir entendu ce vocable ni l’avoir utilisé. L’on voyait les choses plutôt en termes de petit cadeau et de récompense ; et ils portaient sur des montants insignifiants restant à la discrétion du commanditaire. De plus, les acteurs étaient de simples particuliers : l’un faisant un geste volontaire de reconnaissance envers l’autre dans un cadre de relations privées. Ainsi allaient les choses dans la tradition. Notre tradition dans son aspect socioéconomique n’était donc pas vectrice de corruption ; elle ne l’explique pas non plus. Ce qui l’explique c’est la recherche effrénée du gain facile et la passion du lucre de nos jours.
Déchéance de la notion de corruption

Les temps nouveaux arrivèrent et les choses prirent une tournure différente. Les acteurs ne sont plus de simples particuliers et le cadre a cessé d’être celui des relations privées. Aujourd’hui, sont entrées en scène des entités officielles, l’une devant attribuer un service et l’autre devant le rémunérer illégalement. Les insignifiants cadeaux de reconnaissance de jadis sont devenus des commissions que l’on négocie âprement et minutieusement, avant même d’attribuer le service. Le bon vouloir qui animait le geste de reconnaissance en aval au service rendu est devenu contrainte et subordination en amont. C’est ainsi que la corruption s’est installée insidieusement dans notre culture qui s’en est laissé imprégner. Décidemment la tradition n’est pour rien ni dans la corruption des gens ni dans le détournement de deniers publics ; et c’est ce qu’il sied d’enseigner à nos enfants à la maison et à l’école.

Lutte contre la corruption et actions comparées des gouvernements

C’est au lendemain de notre indépendance politique que la corruption a pointé son nez dans notre sphère politique avec de multiples intrigues notamment l’affaire Kovacs, homme d’affaires français, qui ont impliqué nombre de nos personnalités tant civiles que militaires alors au pouvoir. Nous rappellerons que la lutte contre la corruption avait officiellement pris corps avec le Président Mathieu Kérékou dans les années 1980 ; elle était essentiellement axée sur la corruption sur les routes. Les forces armées contrôlaient les agents de la police, de la gendarmerie et de la douane. Cette catégorie de corruption avait ceci de particulier qu’elle s’était faite quotidienne et ostensible. De plus, ceux qui s’y adonnaient détournaient purement et simplement à leur profit les procédures administratives régulièrement établies pour garantir la sécurité à tout usager de la route. La corruption des routes était d’autant plus préjudiciable à l’économie et au développement, qu’elle s’invitait dans le processus de fixation sur les marchés, des prix des produits de consommation courante, mais aussi dans l’inflation. Au reste, il est de notre opinion que c’est bien ce type de corruption qui a entretenu l’esprit de corruption généralisé dans le pays d’autant qu’elle s’est faite familière. Et nous ne nous en rendions pas compte vraiment.
Il est vrai que cette lutte contre la corruption routière avait fait long feu cependant qu’en 1989 une ordonnance présidentielle, avec force de loi, avait été prise pour porter au rang de délit, aussi bien la corruption passive que celle active. Au cours de la même année fut créée la commission Ahouansou René aux fins de vérification des biens de certaines personnalités. Revenu au pouvoir en 1996, le Président Mathieu Kérékou créa aussitôt la cellule moralisation de la vie publique. En 1999 il créa la commission Ahanhanzo Glèlè Adrien avec pour mission de recenser les détournements de deniers publics entre 1996 et 1999.

Entre temps, le Président Nicéphore Soglo au pouvoir de 1991 à 1996 avait quant à lui, créé la commission Amoussou Kpakpa avec pour mission de faire la lumière sur les cas d’enrichissement illicite.

Et que n’a pas entrepris contre la corruption le Président Boni yayi dès son accession au pouvoir en 2006 ? ll a effectué la marche verte en 2007 contre le fléau ; il a fait installer une ligne verte pour dénoncer les cas de corruption. Il a créé l’Inspection Générale d’Etat qu’il a placé sous sa tutelle. Dans une grande manœuvre de communication, il a dépêché une mission tous azimuts des ministres dans les différentes localités, pour expliquer le bien-fondé de la lutte contre la corruption. En Octobre 2011 il fit voter la loi contre la corruption et les infractions connexes. En Février 2013, l’Autorité Nationale de Lutte contre la Corruption, prévue dans ladite loi, vit le jour. Et puis la lutte s’était effilochée et les détournements des fonds publics s’étaient accrus. En 20015, en fin de son second mandat et pour des raisons mal définies, plutôt suspectes il a instauré à la place de l’Inspection Générale d’Etat, le Bureau de l’Auditeur Général censé jouir de plus d’autonomie et de pouvoirs plus étendues. Toutefois, il n’est pas fair-play, lorsque les choses vont mal, d’occulter tout ce qui a été fait de bien. L’important c’est de savoir pourquoi le bien commencé n’a pas perduré ; et c’est là que se trouve assurément la solution pour mieux faire.
Toujours est-il que le terrain avait été largement déblayé et la voie balisée pour l’actuel chef d’Etat. Ce n’est pas à dire qu’il soit en reste en matière de contribution à la lutte contre cette gangrène de corruption ; tant s’en faut. Dès son accession au pouvoir il a promis de ne laisser aucun dossier litigieux dans les tiroirs et apparemment il a tenu parole alors que son prédécesseur disait que s’il devait tenir compte de tous les rapports qui lui parvenaient il mettrait la moitié des cadres en prison. De plus, il a créé la Cour de Répression des Infractions Economiques et du Terrorisme (CRIET) dans le dessein de parachever la lutte contre la corruption. Il faut dire que le travail que fait cet organe nous parait si utile à la nation que s’il n’avait pas existé l’on aurait regretté de ne l’avoir jamais créé ; j’entends clairement eu égard à son rôle spécifique de lutte contre la corruption et le détournement des deniers publics. Mais force est de constater que la CRIET qui aurait pu être dissuasive ne l’a jamais été.

L’actuel chef d’Etat, après que le parlement eut voté en avril 2020 une loi portant création d’un Haut-Commissariat à la prévention et abrogé le 23 avril 2021, la loi portant lutte contre la corruption du 12 octobre 2011 vient de créer, le 19 janvier 2022, une cellule d’analyse et de traitement des plaintes et dénonciation des faits de corruption qui relèvera du Secrétaire Général du Gouvernement et du Coordonnateur du Bureau d’Analyse et d’Investigation. L’on peut estimer que la création de cet organe se justifie d’autant que le centre de la lutte contre la corruption s’est, en fait, déplacé à la présidence de la république depuis septembre 2020. D’un autre coté et en toute logique, le Président de l’Autorité Nationale de Lutte contre la Corruption avait passé service le 15 mars 2021 au Secrétaire Général du Gouvernement avec tout le patrimoine de l’institution. Il s’imposait alors de créer un canal de communication entre la Présidence de la République et le peuple.

Par ailleurs, la création du Haut-Commissariat ayant pour attribution fondamentale la prévention de la corruption est la bienvenue.car l’élément prévention manquait jusqu’alors à la lutte contre la corruption qu’ont menée les gouvernements antérieurs. L’actuel aura alors le mérite d’innover en mettant l’accent sur la prévention. Tel que nous percevons cette dernière, elle devra être rigoureusement enseignée depuis la maternelle jusqu’à l’université et diffusée à l’intention des adultes dans le cadre d’une formation continue avec des méthodes appropriées.
Il est ainsi nettement établi que depuis plus de quarante ans nos chefs d’Etat luttent contre la corruption sans jamais parvenir à l’endiguer. Pis, les détournements de deniers publics ont pion sur rue. Qu’il nous soit alors permis de suggérer des mesures alternatives adjuvantes à la répression pénale.


Nos suggestions

Au plan juridique, nous demandons de faire la part des choses en dissociant les sanctions pour faits de corruption et celles pour détournements de deniers publics à des fins personnelles. La corruption implique deux individus ; le détournement de deniers publics implique un individu et l’Etat tout entier. Mettre la main dans les caisses de l’Etat est une infraction contre 10 millions d’individus ; plus qu’un délit quand bien même aggravé, c’est un crime économique.
Au plan administratif, nous demandons que les photographies des délinquants condamnés soient affichées dans les mairies. N’en déplaise aux défenseurs des droits humains. La mesure se veut dissuasive toutefois.
Au plan social, nous suggérons l’instauration d’une journée calendaire de lutte solidaire contre la corruption. Telle une croisade nationale. Peut-être finira-t-on par comprendre un jour que les journées calendaires thématiques sont les meilleurs soutiens aux politiques gouvernementales. Ainsi que nous l’avons déjà proposé aux ministères techniques intéressés, pour la solidarité et la pauvreté, la journée de lutte contre la corruption ne sera dispendieuse d’aucune manière ni prétexte à un quelconque jour férié. La placer en fin de semaine suffirait.


Ambassadeur Candide Ahouansou




 
 

 
 
 

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