Cour africaine : intégralité de la décision rendue dans l'affaire Komi Koutché contre l'Etat béninois

L’investigateur 11/10/2022 à 12:36

Le jeudi 22 septembre 2022, la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples a rendu, un arrêt sur l’affaire Komi Koutché contre la République du Bénin. L’opposant en exil a saisi la juridiction communautaire pour des violations alléguées de ses droits dans le dossier FNM. Voici l’intégralité de la décision de la Cour a jugé irrecevable la requête de l’ancien DG/FMN pour non épuisement des recours internes.

AFFAIRE KOMI KOUTCHÉ C. RÉPUBLIQUE DU BÉNIN

REQUÊTE N"013/2020 ARRÊT
22 SEPTEMBRE 2022

La Cour, composée de : Imani D. ABOUD, Présidente ; Blaise TCHIKAYA, Vice- Président ; Ben KIOKO, Rafaâ BEN ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Stella I. ANUKAM, Dumisa B. NSEBEZA, Modibo SACKO et Dennis D. ADJ El, Juges ; et Robert ENO, Greffier.

En l’affaire

Komi KOUTCHÉ représenté par Me lssiaka MOUSTAFA, Avocat au Barreau du Bénin. Contre
RÉPUBLIQUE DU BÉNIN représentée par M. lréné ACLOMBESSI, Agent Judicaire du
Trésor

Après en avoir délibéré, rend le présent Arrêt
1. LES PARTIES

1-le sieur Komi KOUTCHE (ci- après dénommé« le Requérant »), est un ressortissant béninois, résident aux Etats-Unis d’Amérique. Il allègue la violation de ses droits en relation avec une procédure pénale dont il fait l’objet devant la Cour de répression des infractions économiques et de terrorisme (CRIET) au Bénin.

La République du Bénin (ci- après dénommée « l’État défendeur ») est devenue partie à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (ci- après désignée, la Charte}, le 21 octobre 1986 et au Protocole relatif à la Charte portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme, (ci- après désigné « le Protocole »), le 22 août 2014. L’Etat défendeur r a également déposé, le 08 février 2016, la déclaration prévue par l’article le 34 (6) dudit Protocole par laquelle il accepte la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes émanant des individus et des organisations non gouvernementales (ci-après désigné « la Déclaration »). Le 25 mars 2020, l’État défendeur a déposé auprès de la Commission de
L’Union africaine l’instrument de retrait de ladite Déclaration. La Cour a jugé que ce retrait n’a aucun effet, d’une part, sur les affaires pendantes et d’autre part, sur les nouvelles affaires déposées avant la prise d’effet du retrait, un an après son dépôt, soit, le 26 mars 2021.1

II.OBJET DE LA REQUÊTE

A. Faits de la cause

Il ressort de la Requête introductive d’instance que lors des Conseils des ministres des 28 juin et 02 août 2017, deux rapports d’audit, l’un sur la gestion de la filière coton et l’autre sur la gestion du Fonds National de la Microfinance (FNM) ont été rendus publics Selon le Requérant, son nom y a été abondamment cité. A cette occasion, le Garde des Sceaux, ministre de la Justice a été instruit d’engager des poursuites contre lui.
Le Requérant précise qu’il a été surpris d’apprendre ces faits, par voie de presse, alors qu’il n’a jamais été approché par une quelconque commission d’audit qui, selon les principes applicables en la matière, doit respecter le principe du contradictoire. Il déclare qu’il a ainsi dû saisir la Cour constitutionnelle le 11 août 2017, pour constater la violation de la Constitution, notamment, en ce qui concerne ses droits.

Il soutient que par décision DCC 18-256 rendue le 06 décembre 2018, la Cour Constitutionnelle de l’État défendeur a rejeté son recours tendant à faire déclarer contraire à la Constitution, pour violation de son droit à la défense, le relevé du Conseil des ministres du 02 août 2017 en son point 3 intitulé « Mission d’audit organisationnel, comptable et financier du Fonds National de la Microfinance (FMN) au titre des exercices 2013 à 2016 ».

Selon le Requérant, cette décision de la Cour constitutionnelle est « la clé de vote » de l’ensemble des griefs et préjudices qu’il a subis dans la mesure où tous les actes pris à son encontre, notamment, le mandat d’arrêt international, la demande d’extradition, l’annulation de son passeport, le refus de délivrance du quitus fiscal ainsi que la procédure pénale initiée contre lui se fondent sur l’audit dont il a fait l’objet

B. Violations alléguées

Le Requérant allègue la violation du droit à ce que sa cause soit entendue, en particulier,

Le droit à la présomption d’innocence, protégé par l’article 7(1)(b) de la Charte ;

Le droit à la défense, protégé par l’article 7(1)(c) ;

Le droit d’être jugé par un tribunal impartial, protégé par l’article 7(1) (d) de la Charte.

Le Requérant allègue, en outre, la violation de l’obligation de garantir l’indépendance des tribunaux, en l’espèce, la Cour constitutionnelle de l’État défendeur, garantie par l’article 26 de la Charte.

Ill. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS

Le 25 mars 2020, la Requête introductive d’instance et une demande de mesures
Provisoires ont été déposés au Greffe. Elle a été communiquée ainsi que ladite demande à l’État défendeur le 27 mars 2020,aux fins de dépôt de ses observations sur la demande de mesures provisoires, dans un délai de cinq (5) jours et de sa réponse au fond, dans un délai de soixante (60) jours, le tout, à compter de la réception de la communication.

L’État défendeur n’a pas déposé ses observations sur la demande de mesures
Provisoires. Le 02 avril 2020, la Cour a rendu une ordonnance de rejet de ladite demande.

L’État défendeur a déposé sa réponse à la Requête introductive d’instance dans les délais prescrits par la Cour. Par correspondance reçue au Greffe le 31 mai 2021, le Requérant a déclaré qu’il n’entendait pas répliquer aux écritures de l’État défendeur.

Le 20 août 2022, les débats ont été clôturés et les parties en ont dûment reçu notification.

IV. DEMANDES DES PARTIES

Dans la Requête introductive d’instance, le Requérant demande à la Cour de :

Dire et juger que l’État défendeur a violé les articles 7 et 26 de la Charte ;

Dire et juger que la Cour constitutionnelle de l’État défendeur n’est ni indépendante, ni impartiale ;

Dire et juge r que l’État défendeur a violé les articles 6 et 7 de la Charte, 8 et 10 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (OUDH) ;

Au titre des réparations, le Requérant sollicite de la Cour qu’elle ordonne à l’État
défendeur :
D’annuler la décision DCC 18-256 du 6 décembre 2018 ainsi que toute la procédure suivie contre lui sur la base du rapport d’audit, plus précisément celle suivie devant la CRIET ;

De lui payer la somme de deux milliards deux cent quatre-vingt-six mille millions deux cent onze mille huit cent quatre-vingt-dix-huit (2.290 211 898) francs CFA, à titre de dommages et intérêts.

Dans ses écritures, l’État défendeur conclut ainsi qu’il suit :

Constater que la Cour est incompétente et se déc larer incompétente ;

Constater que la Requête est irrecevable et déclarer la Requête irrecevable ;

Constater le malfondé des demandes et rejeter le recours ;

V. SUR LA COMPÉTENCE

La Cour fait observer que l’article 3 du Protocole est libellé comme suit :

La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l’interprétation et l’application de la Charte, du présent Protocole et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les États concernés.

En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la Cour décide.
.

Aux termes de la règle 49 (1) du Règlement 6, « la Cour procède à un examen préliminaire de sa compétence [ ...) conformément à la Charte, au Protocole et au [ ) Règlement ».

Sur le fondement des dispositions précitées, la Cour doit, dans chaque requête, procéder à un examen préliminaire de sa compétence et statuer sur les éventuelles exceptions d’incompétence
La Cour note que l’État défendeur a soulevé une exception d’incompétence matérielle. La Cour va se prononcer sur ladite exception avant d’examiner, si nécessaire, les autres aspects de sa compétence

Sur l’exception d’incompétence matérielle

L’État défendeur soulève l’exception d’incompétence matérielle de la Cour tirée du fait que celle-ci n’est pas une juridiction d’appel Il fait valoir à cet effet que le Requérant sollicite de la Cour de céans un contrôle des décisions rendues par sa Cour constitut ionnelle.

L’État défendeur relève que dans les affaires Alex Thomas c. République-Unie de Tanzanie, Ernest Francis Mtingwi c. République du Malawi et Lohé Issa Konaté c. Burkina Faso, la Cour a considéré qu’elle n’est pas une juridiction d’appel des juridictions internes. Il ajoute que la Cour de Justice de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest a adopté la même position dans l’affaire Jamal Olivier Kane c. État du Mali.

Le Requérant n’a pas répliqué.

La Cour note que sur le fondement de l’article 3(1) du Protocole, elle est compétente pour connaître de« toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l’interprétation et l’application de la Charte, du [...] Protocole et de tout autre instrument
Pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les États concernés ».

La Cour souligne que sa compétence matérielle est subordonnée à l’allégation, par le requérant, de violations de droits de l’homme protégés par la Charte ou par tout autre instrument de droits de l’homme ratifié par l’État défendeur.

En l’espèce, la Cour relève que le Requérant allègue la violation du droit à ce que sa cause soit entendue, en particulier, le droit à la présomption innocence, le droit à la défense et le droit d’être jugé par une juridiction impartiale, protégés par l’article 7(1) (b) (c) et (d) de la Charte. Il invoque également la violation de l’obligation de garantir l’indépendance des tribunaux, consacrée par l’article 26 de la Charte, instrument ratifié par l’État défendeur.
En outre, la Cour souligne, conformément à sa jurisprudence, qu’elle n’est pas une instance d’appel des décisions rendues par les juridictions nationales. Toutefois, « cela ne l’empêche pas d’examiner les procédures introduites devant les instances nationales pour déterminer si elles sont en conformité avec les normes prescrites dans la Charte ou avec tout instrument ratifié par l’État concerné. »

En conséquence de ce qui précède, la cour rejette l’exception d’incompétence matérielle et déclare qu’elle a la compétence matérielle pour connaître de la présente affaire.

B. Sur les autres aspects de la compétence

La Cour observe qu’aucune exception n’a été soulevée quant à sa compétence personnelle, temporelle et territoriale.

Ayant constaté qu’aucun élément dans le dossier n’indique qu’elle n’est pas compétente sur ces aspects, la Cour conclut qu’elle a :

La compétence personnelle, dans la mesure où l’État défendeur est partie à la Charte, au Protocole et a déposé la Déclaration. La Cour rappelle, comme elle l’a indiqué au paragraphe 2 du présent Arrêt que, le 25 mars 2020, l’État défendeur a déposé l’instrument de retrait de la Déclaration. À cet égard, la Cour réitère sa position selon laquelle le retrait de la
Déclaration n’a pas d’effet rétroactif et n’a aucune incidence sur les affaires pendantes au moment du dépôt de l’instrument de retrait ou sur les nouvelles affaires dont elle a été saisie avant que ledit retrait ne prenne effet Étant donné qu’un tel retrait de la Déclaration prend effet douze (12) mois après le dépôt de l’instrument y relatif, en l’espèce, le 26 mars 2021, il n’a, donc ,aucune incidence sur la présente Requête, introduite le 25 mars 2020.

La compétence temporelle, dans la mesure où les violations alléguées ont été commises après l’entrée en vigueur des instruments citées ci- dessus, à l’égard de l’État défendeur.

La compétence territoriale, dans la mesure où les faits de la cause et les violations
allégués ont eu lieu sur le territoire de l’État défendeur.

iii) La compétence territoriale, dans la mesure où les faits de la cause et les violations allégués ont eu lieu sur le territoire de l’État défendeur.

Par voie de conséquence, la Cour conclut qu’elle est compétente pour connaître de la présente Requête.


VI. SUR LA RECEVABILITÉ

Aux termes de l’article 6(2) du Protocole • « La Cour statue sur la recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de la Charte »

Conformément à la règle 50(1) du Règlement • « La Cour procède à un examen de la recevabilité (...) conformément aux articles 56 de la Charte et 6(2) du Protocole et au (...) Règlement »

La règle 50(2) du Règlement, qui reprend en substance les dispositions de l’article 56 de
La Charte est libellée ainsi qu’il suit •

Les requêtes introduites devant la Cour doivent remplir les conditions ci- après •

Indiquer l’identité de leur auteur même si celui-ci demande à la Cour de garder l’anonymat

Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la Charte ;

Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou insultants à l’égard de l’État
Concerné et de ses institutions ou de l’Union africaine ;

Ne pas se limiter à rassembler exc lusivement des nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse ;

Être postérieures à l’épuisement des recours internes s’ils existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
Être postérieures à l’épuisement des recours internes s’ils existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;

Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis l’épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa saisine ;

g Ne pas concerner des affaires qui ont été réglés par les États concernés, conformément aux principes de la Charte des Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des dispositions de la Charte.

La Cour note que l’État défendeur a soulevé deux exceptions d’irrecevabilité tirées, l’une du non-épuisement des recours internes et la seconde, de ce que la Requête n’a pas été introduite dans un délai raisonnable.

A. Sur l’exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des recours internes

L’État défendeur soutient que le Requérant n’a pas épuisé les recours internes. Il relève, à cet effet, que le Requérant aurait dû soulever« en substance », devant les juridictions nationales, les griefs qu’il invoque devant la Cour de céans.

Il fait valoir, à titre d’exemple, qu’en ce qui concerne la violation alléguée du droit de la défense, la Cour constitutionnelle a indiqué que le contrôle de l’absence alléguée du principe du contradictoire dans l’élaboration du rapport est du ressort de l’autorité compétente.

Le Requérant n’a pas répliqué

La Cour note que, conformément à l’article 56(5) de la Charte et à la règle 50(2) (e) du Règlement, les requêtes doivent être postérieures à l’épuisement des recours internes, s’ils existent, à moins qu’il ne soit manifeste que la procédure de ces recours se prolonge de façon anormale.
La Cour souligne que les recours internes à épuiser sont les recours de nature judiciaire, ces recours devant être disponible, c’est-à-dire pouvant être utilisés sans obstacle par le Requérant, efficaces et satisfaisants en ce sens qu’ils sont à « même de donner satisfaction au plaignant ou de nature à remédier à la situation litigieux
La Cour précise, du reste, que l’épuisement des recours internes suppose, non seulement, que le Requérant initie les recours internes, mais également qu’il en attende l’issue. Dans le même sens, la Cour a relevé que pour déterminer si l’exigence de l’épuisement des recours internes a été respectée, il faut que l’instance interne à laquelle le Requérant était partie soit arrivée à son terme, au moment du dépôt de la Requête devant elle.

La Cour souligne, en outre, que la condition de l’épuisement des recours internes
S’apprécie, en principe, à la date de l’introduction de l’instance devant elle.

La Cour note que le 23 avril 2019, le Requérant l’a saisie d’une requête dirigée contre l’État défendeur. Ladite requête qui portait sur les mêmes faits et violations alléguées15 que ceux de la présente Requête a donné lieu, le 25 juin 2021,à l’arrêt d’irrecevabilité pour non épuisement des recours internes.

La Cour considère qu’il n’existe, en l’espèce, aucune circonstance de nature à rendre une décision différente, en relation avec les mêmes faits et les mêmes violations alléguées d’autant plus que le Requérant n’a pas démontré, une fois de plus, avoir épuisé les recours internes dans la présente Requête

En conséquence, la Cour reçoit l’exception soulevée par l’État défendeur et considère que le Requérant n’a pas épuisé les recours internes.

B. Sur les autres conditions de recevabilité

Ayant conclu que la présente Requête ne satisfait pas à l’exigence de l’article 56(5) de la Charte et de la règle 50(2)(e) du Règlement et au regard du caractère cumulatif des conditions de recevabilité , la Cour estime qu’il est superfétatoire de se prononcer sur l’exception d’irrecevabilité tirée de ce que la Requête n’a pas été introduite dans un délai raisonnable ainsi que sur les autres conditions de recevabilité de la Requête
En conséquence, la Cour décide que chaque Partie supporte ses frais de procédure.

VIII. DISPOSITIF

Par ces motifs, LA COUR

À l’Unanimité

Sur la compétence

1. Rejette l’exception de son incompétence matérielle ;

iL Se déclare compétente

Sur la recevabilité

Reçoit l’exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des recours internes ;

Déclare la requête irrecevable.

Sur les frais de procédure

Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.

Ont signé •

Imani D. ABOUD, Président

Blaise TCHIKAYA, Vice-Président ;

Ben KIOKO,Juge ;

Rafaâ BEN ACHOUR, Juge ;
Suzanne MENGUE, Juge ;
Tujilane R. CHIZUMILA,Juge ;
Chafika BENSAOULA, Juge ;
Stella I. ANUKAM,Juge ;
Dumisa B. NTSEBEZA,Juge ;
Modibo SACKO,Juge ;
Dennis O. ADJ El, Juge

Et Robert ENO, Greffier

Fait à Arusha, ce vingt-deuxième jour du mois septembre de l’an deux mille vingt-deux, en français et en anglais, le texte français faisant foi.




 
 

 
 
 

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