Chronique

La démocratie béninoise : après le collapsus, peut-on éviter l’effondrement ?

L’investigateur 29/09/2021 à 21:32

‘’Effondrement’’ est le titre d’un ouvrage (Nouvelle Horizon, 2015) dans lequel le célèbre géographe américain Jared DIAMOND explique de façon éclairante et éclatante comment les sociétés décident de leur disparition ou survie. Il conclut que parmi les facteurs qui entrent en jeu dans la chute d’une société organisée, il y a les réponses apportées par celle-ci selon ‘’ses valeurs propres’’ à ses problèmes. Les Béninois, comme d’autres peuples, sont bien conscients que trouver dans son for intérieur les réponses à ses problèmes est le grand enjeu quand une communauté de destin se retrouve dans une situation de fracture profonde. Dans une démarche comparative, mise en circonstances et en contexte, cette conclusion de l’auteur américain épouse un précédent historique bien connu des Béninois : la conférence nationale de février 1990. Ce que l’histoire enseigne également, c’est que dans ces moments de crise, le sursaut de construire un futur nouveau n’émerge que lorsque « les hommes de la situation » parviennent à se réconcilier avec la réalité.
Pour le Bénin, la réalité semble tout simple : après trente ans de stabilité politique et d’alternance démocratique, le système politique béninois a subi en 2019 un collapsus dont les séquelles ne sont pas encore maitrisées. La présidentielle d’avril 2021 fut le point culminant de ce traumatisme démocratique. Les faiblesses et tares de notre système politique que nous traînons depuis deux décennies nous ont été renvoyées en pleine figure. En réponse, on assiste à des appels aux assises nationales alors que les supposés désaccords politiques qui ont conduit à la crise sont encore habillés d’un flou inquiétant. De tout ceci, il est intéressant voire légitime de mettre en hypothèse quelques préoccupations : la crise d’aujourd’hui n’est-elle pas le résultat de nos inactions, de nos tergiversations et procrastinations d’hier ? Les assises qu’appellent les acteurs politiques peuvent-elles en soi solder tous nos comptes ? En d’autres termes, disposons-nous encore de valeurs capables de nous aider à conjurer le sort et nous projeter dans l’avenir ?

cartographie du Bénin

On ne saurait répondre à ces questionnements sans lever, au préalable, une équivoque. En effet, à défaut de réconcilier les principaux acteurs de la crise avec la réalité, il semble tout de même important et utile de rappeler que les arrangements, marchandages et ententes entre les acteurs politiques ne sauraient constituer en soi la panacée pour relever le Bénin. Au contraire, sans vouloir dénigrer les appels aux assises, l’urgence, dans le contexte actuel de fracture et de méfiance suggère de mettre en berne les calculs politiciens et d’essayer de rassembler à nouveau les Béninois dans un projet démocratique prometteur pour le futur. Cela signifie qu’il faut identifier les vraies questions de fond, les poser et les traiter, dans le seul but de solder nos comptes et redémarrer la machine démocratique. Relever et analyser certaines de ces questions, sans prétention aucune, tel est l’objet de cette réflexion. Cinq sujets, dans l’ordre de priorité, nous semblent des pistes urgentes pour faire une hygiène démocratique dans le but d’apaiser et de rassembler.

Le premier sujet concerne les élections législatives de 2023 dont la tenue doit permettre d’apaiser les tensions politiques et restaurer la crédibilité du parlement.* En 2019, la mise en œuvre des réformes politiques et électorales a conduit à des désaccords politiques profonds et complexes qui ont plombé notre système démocratique. Aujourd’hui, les réformes politiques et électorales en question ont permis de réduire le nombre des partis politiques.

les législatives de 2023

C’est un acquis sur lequel on pourrait s’appuyer pour construire une saine animation de la vie politique. C’est pourquoi les législatives de 2023 doivent servir à consolider cet acquis en permettant au peuple souverain de « retourner » au parlement et de vivre à nouveau les débats qui s’y passent. Dans cette perspective, on peut revoir la règle des 10% de suffrages exprimés sur le plan national pour prétendre siéger au parlement. Ce taux parait élevé et pourrait exclure des forces politiques dont les idées pourraient être intéressantes et utiles pour le débat démocratique. *S’il est fixé entre 4% et 6% (En Allemagne ce taux est de 5%), il pourrait permettre une représentativité politique plus conséquente sans remettre en cause les reformes.

Le deuxième sujet concerne le parrainage

Cette réforme est, à notre sens, la meilleure hygiène démocratique que nous avons apportée à notre système politique ces dix dernières années. Pour autant, sa mise en œuvre dans le cadre de la présidentielle de 2021 a démontré qu’elle reste à parfaire. D’une part, il faut rendre cette condition accessible et réalisable pour toutes les forces démocratiques républicaines. En termes clairs, il faut la fonder sur le mérite politique. Les propositions faites concernant les législatives de 2023 visent en partie ce but. D’autre part, il faut rendre le parrainage transparent et démocratique. Dans tous les systèmes qui appliquent cette condition, les élus concernés le font « à visages découverts ». Or, pour la présidentielle 2021, l’opinion a été informée du nombre de parrainages obtenus par les candidatures validées par la CENA sans savoir « qui » a parrainé « qui ». Il s’agit d’un acte de responsabilité politique et c’est un droit pour les citoyens de savoir pour qui leurs élus ont accordé leur parrainage.

Le troisième sujet se rapporte à notre modèle politique de démocratie à la base. A ce niveau, nous avons identifié deux problèmes cruciaux. Le premier problème a rapport au taux de 10% de suffrages exprimés sur le plan national exigé aux listes de candidatures pour être éligibles au partage des sièges. S’il s’agit là encore d’une réforme électorale de 2019 dont l’objectif est de promouvoir la dimension nationale des partis politiques, force est de constater que dans sa mise en œuvre lors des élections communales de 2020, elle a révélé une anomalie démocratique sans précédent : des communautés sont administrées par des formations politiques qui n’ont aucune légitimité. Cette règle, au fond, qui s’explique et se justifie dans le cadre des élections législatives (les députés ayant un mandat national) l’est moins pour les élections communales qui sont par excellence des élections de proximité. Encore que, suivant la logique du couplage des législatives et des communales, cette règle ressemble à un double emploi dont on pourrait se passer sans rien « casser ». En effet, les élections législatives auront déjà assumé cette fonction. Cela étant, après trois mandatures d’expérience, nos collectivités locales ont plutôt besoin de majorité politique solide. Dans cette perspective, on pourrait exiger 30% du suffrages exprimés dans la commune pour qu’une liste (ou un parti) siège au conseil communal. Le second problème concerne la participation des forces vives non partisanes : les indépendants. A l’état actuel de nos lois électorales, une personnalité indépendante (qui n’est militant dans aucun parti politique) peut candidater au poste de Président de la République. Mais, selon les mêmes lois, cette même personne ne peut postuler un poste de conseiller local ou communal dans sa localité de résidence. C’est un fait que les forces vives indépendantes offrent une potentialité de leadership et d’engagement citoyen pertinent dans les communautés à base. Nous avons besoin de mieux organiser leur intervention comme c’est le cas au Ghana et au Sénégal pour ne citer que ces deux pays.

Le quatrième problème, concerne la tenue des élections générales en 2026, notamment l’organisation couplée des élections législatives et communales et leur interférence probable sur la présidentielle de la même année. La réforme du parrainage fait que les élections législatives et communales exercent désormais une influence capitale sur la présidentielle. Elles constituent, en réalité, le premier tour de la présidentielle. *Elles peuvent générer des tensions ou des contentieux qu’il serait mieux d’apaiser ou de vider avant la tenue de la présidentielle. Or, selon les dispositions des articles 153-2 et 153-3 de la Constitution, les trois élections se déroulent entre le 15 janvier et 15 avril. Quant à l’article 135 du code électoral, il dispose que les dépôts de candidature de la présidentielle sont faits cinquante jours avant l’ouverture de la campagne électorale du premier tour du scrutin.* Sachant que la campagne électorale dure quinze jours et que le premier tour est prévu pour le mi-avril (2e dimanche du mois d’avril), il y a lieu de relever qu’on pourrait se retrouver dans la situation où les élections communales et législatives ne seront pas encore définitivement achevées alors que le dépôt des candidatures pour la présidentielle serait ouvert. Selon les prévisions du même code électoral, les députés et conseillers communaux élus seront installés respectivement le deuxième dimanche et entre le premier et le troisième dimanche du mois de février. Par simulation, si la présidentielle a lieu le 11 avril, le début de la campagne du 1er tour serait le 26 mars. Le dépôt des candidatures devrait se faire 50 jours avant le 26 mars, donc vraisemblablement dans la première semaine du mois de février. Est-ce les députés et maires en fin de mandat et en pleine campagne électorale pour leur réélection qui vont parrainer les candidats à la présidentielle ? Dans tous les cas, les interactions et influences qui existent désormais entre les trois élections recommandent d’éviter l’interférence ou le télescopage probable du calendrier électoral qui pourrait être compliqué à gérer. L’élection générale ou d’année électorale pourrait ne pas être forcément une année civile ou plus précisément une période électorale de quatre mois. Après les législatives de 2023, le nouveau parlement pourrait réorganiser le calendrier dans le but de tenir les élections dans une période fermée de 12 mois partagée sur deux années civiles par exemple. *Prévoir un intervalle de six mois qui sépare la fin des élections communales et législatives et le dépôt des candidatures pour la présidentielle parait une option plus prudente.*
*Le cinquième et dernier sujet* concerne la lutte contre l’impunité. Depuis toujours, la lutte contre l’impunité, telle qu’elle est pensée et exécutée dans notre pays est inquiétante. Dans les faits, elle est confondue à la détention d’acteurs politiques ou réduite à des procès, à la limite, expéditifs. Ces faits ont exposé notre pays à la sanction des juridictions régionales. En soi, la justice est une activité politique et la question de son indépendance sera toujours soulevée dès qu’elle a une clientèle politique notamment en matière pénale. *Cependant, le fait que sur la base de soupçons non encore établis ou d’un rapport d’audit non consolidé un citoyen qui a servi son pays puisse être privé de sa liberté semble être de l’injustice que nous chérissons au nom de la lutte contre l’impunité.* Il est vrai que l’objectif est de décourager les fautifs. Mais il est aussi impératif pour nous d’organiser la lutte contre l’impunité dans le respect des principes élémentaires d’une justice équitable et humaine. Avec ce qui se passe, des Béninois compétents peuvent être réticents à l’idée de venir servir leur pays.

Enfin, la démocratie se nourrit de débats et se vivifie de la contradiction des idées et des projets. C’est aussi le rôle de l’Etat de créer les conditions de ce débat par un accès équitable des forces politiques aux médias de services publics. La dimension nationale des partis politiques est un objectif pertinent. Mais, il est aussi important pour les citoyens de connaitre les idées, les projets, les leaderships et la position des partis politiques sur les questions d’intérêt général et stratégique pour notre pays. Plusieurs techniques ou modèles existent pour y parvenir : une loi qui organise les temps d’antenne des forces politiques sur les médias de service public, des émissions spécifiques sous la supervision de la HAAC ou de la Commission Electorale, etc. En somme, l’absence du débat démocratique est aussi en la partie la cause du désintérêt des Béninois à la politique et aux élections. A la fin de cette réflexion, nous retenons que les évènements de 2019, 2020 et 2021 proviennent des causes lointaines et profondes. De plus en plus, il apparaît difficile voire impossible de concilier les différents protagonistes de la crise avec cette réalité. Le collapsus, le peuple Béninois l’a subi et l’effondrement lent et progressif à éviter pour notre société se manifeste déjà par le désintérêt de la masse à la chose politique. Au-delà d’une assise politique, le grand sursaut patriotique face à cette crise doit consister à rendre l’Etat au peuple et la démocratie aux citoyens.
Djidénou Steve KPOTON
Juriste,
Consultant Affaires Politiques / Gouvernance Démocratique.




 
 

 
 
 

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