Bénin

Chronique du Professeur Gbégnonvi : Pourquoi l’Afrique n’est pas grande

L’investigateur 23/08/2020 à 20:17

Dans son ‘‘Discours sur le colonialisme’’ consacré à l’Afrique, Aimé Césaire fait « l’apologie systématique des sociétés détruites par l’impérialisme ». Cheikh Anta Diop a consacré son œuvre à l’Afrique pour « dégager la profonde unité culturelle restée vivace sous des apparences trompeuses d’hétérogénéité ». Les deux auteurs disent, en filigrane, une grandeur passée de l’Afrique. Or quand on observe en 2020 l’Afrique à la lumière de la religion, de la politique et de la tradition, les trois lampes de la grandeur des peuples, on n’aperçoit ni vestiges ni résidus reflétant une quelconque grandeur de l’Afrique d’antan.

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La religion se structure autour d’une figure de la divinité, laquelle figure peut être fragmentée á volonté. Entouré de peuples forts en nombre et puissants tels que ceux d’Egypte et de Syrie, le tout petit peuple de David et Salomon en Palestine a senti très tôt pour lui-même le danger d’une figure fragmentée de la divinité. Pour exister et résister à côté des grands, il forgea le concept du Dieu unique vénéré dans le Temple unique de Jérusalem, entendu à la synagogue dans le Livre unique de la Torah. Le petit peuple n’a pas voulu disperser ses énergies. Sur le modèle de l’unicité de Yahvé, on a forgé le christianisme et l’islam, religions les plus puissantes, conquérantes et concurrentes de notre histoire.
La politique, gestion de la cité, se structure autour de deux projets de société, l’un favorable aux puissants, l’autre favorable aux faibles. Sur la base de ces deux projets se forgent les partis politiques, dont le nombre ne saurait proliférer sans mettre en danger la cité. Dans l’Allemagne de la République de Weimer, à la fin du 2ème Reich, « la crise des partis entraîne la crise du parlement et, par conséquent, celle de l’Etat. Depuis mars 1930, il n’existe plus de majorité parlementaire assez forte pour soutenir la République ». Et la République s’effondra sous le poids des partis sans nécessité. Et ce fut l’horrible 3ème Reich.

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Du latin : ‘‘tradere, traditum = faire passer á un autre, remettre, transmettre’’, la tradition est boussole, tremplin, qui pousse les peuples en marche à inventer et créer du nouveau pour transmettre aux générations à venir un héritage enrichi. Ils s’inspirent de la tradition, ils y puisent dynamisme pour aller ailleurs et plus loin dans toutes les directions.
A la lumière des trois lampes des grandes civilisations, quelle grandeur fut et est celle de l’Afrique ? Encore Aimé Césaire : « Je refuse de me donner mes boursouflures pour d’authentiques gloires. » L’Afrique n’a pas été et n’est pas grande, parce que l’Africain voit dans la religion la production et la captation de toutes les divinités possibles : censées l’aider et le protéger, elles dispersent et affaiblissent ses énergies. Monarchie ou démocratie, l’Africain voit dans la politique une mangerie pour les puissants au détriment des faibles : le Bénin moderne compta jusqu’à 250 partis autour du festin. L’Africain ne voit dans la tradition que dépôt à conserver intact dans la fidélité inquiète aux ancêtres : ni tremplin ni boussole mais force d’inertie, dans un univers de peur du nouveau, de peur d’aller ailleurs.

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Sensible cependant à la grandeur, l’Africain déforme volontiers l’histoire. Il prétend qu’ils furent rayonnants, royaumes et empires, esclavagistes bon teint, très vite écroulés sous les coups de canon de l’envahisseur. Il présente comme héros à imiter les rois défaits et déportés. Il travestit leurs chemins de fuite et d’errance en chemins de résistance. A renverser les valeurs nous gagnons le mépris. La vérité à nous-mêmes et à la jeunesse qui en a besoin pour quitter les ravins et entamer le parcours. A nous tous la parole de Frantz Fanon : « Il ne faut pas essayer de fixer l’homme, puisque son destin est d’être lâché. » A cette condition, l’Afrique aura une grandeur. Cette grandeur n’est pas derrière elle et pas à côté d’elle, elle est devant elle. Retroussons-nous les manches pour faire l’Afrique grande.

Par Roger Gbégnonvi




 
 

 
 
 

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