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Jihadisme : un rapport accablant sur la présence de deux groupes terroristes dans le Parc W, selon ICG

L’investigateur 10/02/2023 à 12:00

Des insurgés se sont implantés dans une importante réserve naturelle partagée entre le Bénin, le Burkina Faso et le Niger. Ils représentent un danger croissant pour les écosystèmes locaux et pour les populations qui vivent autour du parc. Les trois pays devraient collaborer plus étroitement afin de contenir cette menace.

Que se passe-t-il ? Des groupes d’insurgés se sont installés dans le Parc W, une vaste zone protégée transfrontalière, partagée entre le Bénin, le Burkina Faso et le Niger. Leur présence met en péril les efforts de protection de la biodiversité dans le parc ainsi que les moyens de subsistance des populations alentour, a notifié l’International Crisis Group dans un rapport datant du 26 janvier dernier.

En quoi est-ce significatif ? Si rien n’est fait, les insurgés pourraient consolider leur emprise sur le parc et l’utiliser comme base pour infiltrer d’autres pays d’Afrique occidentale. Ils pourraient également exacerber les différends concernant les ressources naturelles, alimentant ainsi les conflits intercommunautaires.

Comment agir ? Les trois pays qui abritent le parc devraient améliorer leur collaboration pour juguler la présence des insurgés, assurer la sécurité des résidents et maitriser les problèmes de concurrence pour les terres et l’eau.

Synthèse
Les jihadistes sahéliens se sont implantés dans le Parc W, une vaste réserve naturelle transfrontalière partagée entre le Bénin, le Burkina Faso et le Niger, qu’ils utilisent comme base pour lancer leurs incursions dans la savane ouest-africaine. Leur présence dans le parc met à mal près d’un siècle d’efforts de protection du site, mais aussi les moyens de subsistance des populations locales en alimentant les conflits entre agriculteurs sédentaires et éleveurs nomades pour la terre et l’eau. Elle risque également d’aggraver l’insécurité dans les pays côtiers avoisinants. Les autorités des trois pays, soutenues par leurs partenaires étrangers, ont fait de gros efforts pour arrêter l’avancée des insurgés. Mais leurs efforts n’ont pas suffi, pas davantage que les tentatives visant à améliorer la protection et à atténuer les conflits autour des ressources naturelles dans le parc et aux alentours. Les trois pays devraient mieux coordonner leurs actions militaires et s’entendre sur une stratégie commune de protection des populations, passant, le cas échéant, par une offre de dialogue avec les insurgés. Ils devraient également envisager des réformes pour mieux gérer la compétition pour les ressources dans les environs du parc.

Le Parc W fait partie du complexe W-Arly-Pendjari (WAP), l’une des plus grandes aires protégées d’Afrique de l’Ouest, qui abrite des éléphants, des lions et d’autres espèces dont les habitats disparaissent progressivement ailleurs. Depuis ses débuts à l’époque coloniale, en 1937, l’effort de protection du Parc W a suscité des conflits entre les défenseurs de la nature, qui souhaitaient protéger un site précieux pour la biodiversité, et les habitants, qui considéraient le parc comme une zone de cultures, de chasse et de récolte de fourrage pour leur bétail. Les trois gouvernements qui se partagent la juridiction ont manqué d’argent et de main-d’œuvre pour préserver l’intégrité du parc. A partir des années 1970, des sécheresses récurrentes ont poussé les populations des zones arides du Sahel vers le pourtour du parc, alimentant la concurrence autour de l’accès à l’eau et aux pâturages.

Les jihadistes ont profité de ces griefs pour s’implanter. En 2018, deux groupes – la Katiba Ansarul Islam et la Katiba Serma – ont pénétré dans le parc et en ont quasiment pris le contrôle à la fin du mois d’août de la même année. Les insurgés ont utilisé différentes méthodes pour attirer de nouvelles recrues. Au début, ils ont recruté des brigands qui vivaient dans la forêt et des jeunes en difficulté. Avec le temps, ils ont tissé des liens avec des éleveurs qui, comme eux, vivent dans la brousse.

Ces deux dernières années, le Park W est devenu une importante base pour les insurgés.
Ces deux dernières années, le Park W est devenu une importante base pour les insurgés. Ils tirent des revenus en prélevant des taxes sur les mines d’or artisanales, en vendant le bétail qu’ils y gardent et en faisant de la contrebande de divers produits. A la périphérie du parc, les jihadistes tentent d’imposer leur interprétation brutale de la Charia, notamment aux femmes, à qui ils interdisent de sortir seules en public. Ils s’immiscent dans les relations entre femmes et hommes et ont parfois forcé des jeunes filles mineures à se marier. Ils ont également tenté de mettre fin à ce qu’ils considèrent comme des pratiques non islamiques, y compris dans des endroits où les animistes et les chrétiens constituent la majorité de la population.

Les jihadistes causent bien d’autres problèmes. Depuis leurs repaires dans le parc, ils lancent des opérations pour tenter de conquérir de nouveaux territoires dans l’ouest du Niger, le nord du Bénin et l’est du Burkina Faso.

Les autorités des trois pays travaillent en collaboration avec les partenaires étrangers pour reprendre le contrôle du Parc W et de ses environs. Elles mettent l’accent sur trois axes d’intervention : sécuriser le parc par des actions militaires, améliorer les mécanismes de surveillance et de lutte contre le braconnage, et traiter de la question des conflits pour les ressources. Elles ont consolidé les actions de protection grâce à une réforme juridique, un renforcement des capacités du personnel de gestion du parc et des programmes concertés visant à impliquer les communautés locales. Elles prennent des mesures pour mettre un terme à l’extension des terres agricoles sur le parc et pour délimiter les aires de pâturage, les couloirs de transhumance et les zones de repos du bétail.

Pourtant toutes ces mesures ne suffiront pas à rétablir la sécurité dans le Parc W et ses alentours. Au niveau militaire, il faudra une coordination plus solide entre le Bénin, le Burkina Faso et le Niger – même si, par souci d’efficacité, les trois armées devraient continuer à opérer en tant que commandements séparés plutôt que dans un cadre unique. Mais le terrain est difficile, et le coût humain et environnemental d’une action militaire sera probablement élevé. C’est pourquoi, plutôt que de miser sur une reconquête du parc, les trois pays devraient plutôt se concentrer sur une stratégie d’endiguement des groupes armés – notamment autour de Niamey, la capitale du Niger, qui se trouve à seulement 150 kilomètres du parc et sous la menace des avant-postes des insurgés – et rester disposés à engager des négociations discrètes avec les jihadistes lorsque cela est nécessaire.

En parallèle, les trois pays devront s’attaquer aux facteurs de tensions sociales dans les environs du parc, notamment la compétition autour des ressources. Les réponses risquent d’être très controversées. Les autorités pourraient, par exemple, envisager de déclassifier certaines parties des zones tampons du parc pour permettre aux éleveurs de faire paitre leur bétail et donner aux agriculteurs des terres à cultiver, même si cette mesure s’éloigne des objectifs de protection. A terme, les trois pays – et d’autres Etats de la région – pourraient également se pencher sur la question difficile, mais de plus en plus incontournable, de savoir s’il faut encourager les nomades à adopter un mode de vie sédentaire.

Dans cette situation où les jihadistes contrôlent des pans entiers du Parc W et où les populations vivant à proximité subissent des pressions économiques et environnementales, les trois gouvernements qui partagent la responsabilité du parc ont fort à faire. Une action militaire coordonnée, qui laisse la place à des stratégies civiles complémentaires, conjuguée à des réformes de moyen et long terme soutenues par les bailleurs de fonds pour remédier à la pénurie de ressources, pourraient contribuer à sécuriser cette partie de l’Afrique de l’Ouest en proie à de nombreux troubles. Cette approche aiderait également à préserver les trésors naturels et les écosystèmes qui apportent de nombreux moyens de subsistance aux populations locales.

Ouagadougou/Cotonou/Niamey/Bruxelles, 26 janvier 2023



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