Bénin

Eglise Protestante Méthodiste du Bénin : Ce que les fidèles attendent de l’Etat (Lire la tribune du Prof Hountondji)

L’investigateur 17/03/2023 à 19:55

Ce que les fidèles attendent de l’Etat
Par
Paulin HOUNTONDJI

1- De quoi je me mêle ?
L’Etat doit s’abstenir. Le Pouvoir doit apprendre à ne pas se mêler de ce qui ne
le regarde pas. On imagine mal une autorité politique s’immiscer dans les affaires
intérieures d’un ménage en prétendant dicter le menu du jour et en ordonnant
par exemple : aujourd’hui vous mangerez du manioc et non de l’igname, demain
la patate douce, après-demain du riz, etc. La maîtresse de maison aurait raison
de dire à l’autorité : « ô grand chef, de quoi je me mêle ? »
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Il en est de même dans les groupements religieux. La maîtresse de maison, ici,
c’est la communauté des fidèles. Il peut arriver qu’un chef religieux trahisse ses
engagements et oublie sa mission, ou qu’il fasse le contraire de ce qu’il avait
promis au départ. Il peut arriver qu’il détourne les deniers du culte, qu’il s’illustre
par son immoralité ou par une pratique éhontée du clientélisme et de la
corruption. Il peut arriver que pour ces raisons ou d’autres encore, il soit rejeté
par la communauté. Le pouvoir politique aurait tort de le soutenir contre vents
et marées et de vouloir l’imposer.
Or, c’est exactement ce qui vient de se passer à l’Eglise protestante méthodiste
du Bénin (EPMB). Un puissant mouvement de fond s’était formé pour balayer un
chef d’Eglise qui se faisait appeler « Eminence », mais qui s’était illustré par
toutes sortes d’indélicatesses : détournement des deniers du culte, saignement
à blanc des institutions comme les établissements scolaires ou l’hôpital
protestant « le bon Samaritain » (HPBS), opacité totale dans la gestion des fonds
mis à sa disposition (réfection de Wesley House, apurement des montants dus à
la CNSS, subvention destinée à « Radio Hosanna », etc.), tribalisme, clientélisme
et favoritisme dans les recrutements, les nominations, les affectations, et pour
couronner le tout, une solide réputation d’inconduite sexuelle. Ce mouvement
s’était donné pour nom « La Sentinelle ». Initié par des ténors de l’ex-EPMB
Conférence (EPMB-C), il avait vite conquis toute l’Eglise. Les anciens ténors nous
ont dit en substance : « C’est nous qui l’avons fait élire. Mais il nous a fait
tellement honte que nous allons nous-mêmes le débarquer. Tenez-vous
tranquilles et laissez-nous faire ». La jonction était ainsi faite avec le noyau dur
de l’ex-EPMB stricto sensu, baptisée par ses anciens adversaires « EPMB-
Synode »
La Sentinelle avait demandé audience à « Son Eminence » pour l’entendre elle-
même s’expliquer sur les nombreuses accusations portées contre elle et
véhiculées par une rumeur de plus en plus ample. L’audience a été accordée sans
délai. Rendez-vous a été pris pour quatre « séances de travail » au cours
desquelles son « Eminence », entourée de ses amis et de quelques-uns de ses
bailleurs de fond, a tenté tant bien que mal, mais plutôt mal que bien, de se
disculper. Les conclusions de ces séances ont été consignées dans un rapport
conjoint, paraphé et signé par deux rapporteurs dont l’un était désigné par son
« Eminence » et l’autre par la Sentinelle. Ce rapport existe, bien qu’il n’ait pas
été diffusé jusqu’ici.
De leur côté, un certain nombre de pasteurs honnêtes et courageux avaient initié
une action tendant à attraire devant un conseil de discipline leur « éminent »
confrère, conformément aux statuts et au règlement intérieur de l’Eglise. Leur
lettre était un véritable réquisitoire, d’une clarté et d’une précision exemplaires.
Elle a été traitée avec dédain par « son Eminence ». Mais elle existe toujours, et
elle est toujours d’actualité.
2- Le Patron du pays
C’est à ce point précis qu’intervient, au dernier trimestre 2022, le Patron du pays.
Il reçoit coup sur coup dans sa résidence, d’abord son « Eminence », puis son
« Eminence » entourée de ses prédécesseurs, anciens présidents de l’Eglise, puis
les membres de l’ancien « organe transitoire de gestion » (OTG), puis le bureau
du conseil du synode dit biennal, puis une délégation de la Sentinelle en
présence de ce beau monde.
Les réunions se multiplient, mais de l’une à l’autre, le discours change. La
demande était au départ : ne le destituez pas, laissez-le terminer son mandat,
mais obtenez de lui qu’il ne soit pas candidat à sa propre succession. Puis, à
l’étape suivante : j’ai reçu l’intéressé, il tient à être candidat. Qu’allez-vousfaire ?
Vous ne pouvez pas l’en empêcher ! Puis : s’il est élu, qu’allez-vous faire ? La solution-miracle est aussitôt trouvée : la mise en place d’un « comité ad hoc de
veille » chargé de l’encadrer et de le contrôler, et qui serait une garantie contre
les abus qui lui sont reprochés. Après les élections, s’il arrivait qu’il soit élu, ce
comité ad hoc se transformerait en conseil de veille et d’éthique.
De concession en concession, nous nous sommes laissé berner. Les plus avisés
d’entre nous avaient beau prévenir : vous ne pouvez prétendre encadrer et
contrôler un homme qui a montré par une longue pratique qu’il ne se laissait ni
encadrer, ni contrôler. Rien n’y fit : le Patron du pays avait parlé et on n’avait pas
le choix. La composition même du comité ad hoc était hétéroclite : trois de ses
sept membres étaient des partisans inconditionnels de « son Eminence ». Et ça
n’a pas raté. Sitôt ce comité installé en grande pompe, le 7 janvier 2023, au
temple « Béthanie » d’Akpakpa, « son Eminence » prend la route, sans consulter
ni même informer ledit comité, pour sillonner les 19 régions synodales, s’arroger
la présidence des synodes régionaux et procéder lui-même à une première
identification des délégués des régions au synode qui se préparait.
Qu’à cela ne tienne ! Le comité resté sur place se met au travail avec optimisme
et détermination, en liaison avec son président, le pasteur Nicodème ALAGBADA
qui avait rejoint son poste à Yaoundé. Un code électoral est élaboré. Une
souscription est lancée à la Sentinelle pour financer les premières actions
urgentes du comité ad hoc, notamment une tournée que l’on jugeait
indispensable dans les régions synodales pour laisser celles-ci former librement
des délégations véritablement représentatives. ALAGBADA revient de Yaoundé.
Nouvelle réunion à la résidence du Patron. C’est là que le ton change :
 Une tournée dans les régions, ce n’est pas dans votre mandat. Jetez-moi
ce code électoral, ce n’est pas non plus dans votre mandat.
C‘était la ruse jusque-là. C’est désormais la rage, pour reprendre la belle
expression d’un porte-parole du régime, qui annonçait dès 2017 que le pays
serait gouverné par la ruse et la rage.
 Et puis, ne suscitez pas d’autres candidatures, il faut qu’il soit candidat
unique.
 Non, Patron, ça ne se passe pas ainsi chez nous. La session pastorale
recense tous les pasteurs éligibles et en dégage au moins deux qui sont
proposés au vote de la session plénière.
Mais le masque était tombé et les choses étaient claires. Son « Eminence » elle-
même n’en espérait pas tant. Elle s’était crue obligée de signer le 5 janvier 2023,pour sauver la face, une décision dans laquelle elle précisait les attributions du
comité ad hoc, deux jours avant de l’installer elle-même. Et voilà que le Chef lui-
même dépouillait allègrement ce comité de ses attributions.
3- Un synode pour rien ?
La suite, c’est ce que nous venons de vivre au dernier synode tenu à Cotonou du
28 février au 4 mars 2023.
D’abord, la session pastorale lui était acquise. Les pasteurs recrutés en grand
nombre depuis son installation en juillet 2017 et formés à la hâte dans l’Institut
de théologie de Dowa, banlieue de Porto-Novo, institut où il fait lui-même la
pluie et le beau temps, quelques-uns parmi eux sont bons, c’est sûr, mais
beaucoup doivent tout au Pasteur Amos Kponjesu HOUNSA. Il n’est pas sûr qu’ils
aient tous la vocation ni le niveau d’instruction nécessaire, et il a pris soin de les
emmurer dans divers logements confortables pendant tout le synode,
empêchant tout contact véritable entre ces ouailles innocentes et le reste du
corps pastoral. Il n’est donc pas étonnant qu’il ait été élu à une majorité
écrasante (103 voix sur 198 votants) à la session pastorale. Un code électoral
équilibré nous aurait épargné cette tragi-comédie.
Pareil pour la session plénière dite « session représentative ». Le moyen le plus
sûr de gagner une élection est de composer soi-même la liste électorale. C’est ce
qui vient de se passer. Il était prévu que le comité ad hoc contrôlerait la
procédure. Son « Eminence » elle-même l’avait écrit dans sa décision n° 1 du 5
janvier 2023. Mais il n’en a rien été. Son « Eminence » avait fait campagne du
nord au sud et de l’est à l’ouest en distribuant de l’argent, en corrompant sans
vergogne comme pour sa première élection en 2017. Et comme elle est
remarquablement astucieuse, elle avait tiré leçon du passé. Un pasteur
méticuleux avait dénoncé la fraude électorale en 2017 en montrant qu’il y avait
eu plus de votants que d’inscrits. Cette fois, son « Eminence » ne se laissera pas
prendre. Aucune liste n’est publiée à l’avance. Elle est seule à savoir qui doit
voter, ayant gardé par devers elle la liste des électeurs et modifiant cette liste
jour après jour, dans le plus grand secret.
La question lui a été posée au synode : le comité ad hoc a-t-il été associé à la
procédure ? Après avoir esquivé la question une première fois, son « Eminence »
finit par répondre : « oui, puisque nous avons tenu quatre réunions ». Mensonge
insoutenable. Le comité ad hoc avait reçu la liste le lundi 7 février, veille de la session pastorale, et s’était bien gardé de la valider. Cette liste n’était même pas
définitive, puisque de nouveaux badges ont été distribués la veille de l’élection.
Mais comme son « Eminence » présidait le synode, la parole a été refusée à
toute personne susceptible de la contredire.
Qu’on ne s’étonne donc pas que ce chef décrié pour son immoralité ait été réélu
par 295 voix sur 442. La suite allait de soi. Le même secrétaire général a été réélu,
et le même vice-président laïc. La même équipe est aux commandes pour cinq
ans, peut-être pour six ans.
Un synode pour rien, est-on tenté de dire. Pas tout à fait exact. Un semblant de
synode pour consolider, à la tête de l’église, le pouvoir du mensonge et de la
corruption. La ruse et la rage faisant irruption en un lieu où l’on est censé cultiver
le sens du bien et du mal et s’exercer à faire le bien plutôt que le mal, un lieu
censé être le sanctuaire des valeurs.
La session pastorale aura été particulièrement houleuse. Un groupe de 25
pasteurs parmi les plus anciens jouissant d’une solide réputation d’intégrité avait
rédigé un mémorandum qu’il voulait faire lire en début de session comme
préalable au démarrage des travaux. Il s’est heurté à l’opposition farouche de 4
ou 5 jeunes loups, soutiens inconditionnels du président sortant, qui étaient
prêts à en découdre avec ces sages. Voulant calmer le jeu, deux des trois anciens
présidents présents auraient demandé que cette lecture soit renvoyée à la fin
des travaux, ce qui revenait, en fait, à prendre le parti des jeunes loups.
Pauvre Nicodème ALAGBADA ! Le défunt président confiait à ses proches, nous
dit-on, qu’on ne se servirait pas de lui pour asseoir, à l’Eglise, le « culte de la
personnalité » et qu’il préférait, tant qu’à faire, que son Seigneur le rappelle. Le
Seigneur l’a rappelé le 6 février 2023. Perte immense ! Mais il est clair qu’un
homme de cette droiture aurait difficilement supporté ce spectacle de la honte.
Ancien président de l’EPMB, puis de l’Organe transitoire de gestion (OTG),
président de cet organe trompe-l’œil, le comité ad hoc inventé pour la
circonstance et qui venait d’être dépouillé de ses attributions, il annonçait à ses
proches le soir du 1er février, veille de son retour au Cameroun, qu’il ne viendrait
pas au synode. Après son brusque décès et par respect pour sa mémoire, la
famille, voulant faire son deuil avec le maximum de sérénité, a écrit à son
« Eminence » pour lui « interdire » (sic) de se présenter aux obsèques prévues
pour le 26 février 2023 à Takon. Pensez-vous que son « Eminence » ait respecté
cet interdit ? Que non ! Se sachant protégée, elle se croit au-dessus des familles
endeuillées.Mais est-elle au-dessus de Dieu ? Le dernier mot n’est pas dit. Une nouvelle crise
est ouverte, plus sévère que la précédente. Entre l’église officielle et l’Eglise
réelle, le fossé se creuse jour après jour. L’église officielle est une église aux
ordres, une église dévoyée, détournée de son droit chemin, conduite par un
homme qui, dès avant sa première élection en 2017, avait déjà, au dire d’un
synodal, « la réputation d’être un grand voyou ». Dans le camp des vainqueurs,
comme on pouvait s’y attendre, c’est l’euphorie. La tricherie a payé, et on croit
qu’elle paiera toujours.
Mais les vaincus d’aujourd’hui sont capables de surprendre. Certains, las de se
battre, se sont vite résignés, arguant que la « fumée blanche » est sortie et que
c’était la volonté de Dieu. Ils oublient que le pape n’est jamais élu dans ces
conditions. Ils oublient surtout que Dieu ne saurait cautionner le mensonge et la
supercherie. Les autres, cependant, restent fermes. Ce n’est pas une minorité
agissante, c’est cette majorité difficilement corruptible qui croit encore que le
bien vaut mieux que le mal et qui, au-delà des élucubrations savantes, au-delà
des pressions de toutes sortes,, choisit d’écouter, en silence, la voix de la
conscience.




 
 

 
 
 

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