Bénin

Esplanade de l’Amazone : Talon n’a pas tort de l’implanter à Cotonou, selon l’Enseignant d’histoire à l’UAC Dieudonné Awo

L’investigateur 12/08/2022 à 12:52

Talon n’a pas tort d’implanter une statue d’Amazone et de lui dédier une esplanade à Cotonou, soutien Dieudonné Awo, enseignant d’histoire à l’université d’Abomey-Calavi.

​La récente révélation du buste du sublime patrimoine identitaire historique national incontesté en érection à Cotonou a suscité et continue d’alimenter diverses opinions. Pendant que certains manifestent leur admiration pour l’initiative et se fondent en louange, d’autres se délectent de propos acerbes qui frisent parfois de la délation. Les voix discordantes fustigent le terme "Amazone" qui relèverait du mythe grec et donc impropre pour désigner une réalité dahoméenne. Ces pourfendeurs clament que le Danxomè n’a produit aucune "Amazone" si ce n’est des femmes guerrières. Pour eux enfin, Cotonou n’a jamais abrité la base du régiment d’élite des femmes guerrières du Danxomè. Mais, qu’en est-il réellement de tout ceci ?

Les Amazones : mythe ou réalité ?

La plupart des anciens écrits existants sur la question : Robin Law, Neglected Account of the Dahomian Conquest of Whydah, 1727 ; Hélène d’Almeida-Topor, Les Amazones, une armée de femme dans l’Afrique précoloniale, 1984 ; Luc Garcia, Le royaume du Dahomé face à la pénétration coloniale (1875-1894), 1988 ; Jean-Yves Anezo, "Agoodjé, les femmes guerrières du Dahomey", 2018 ; etc. s’accordent à reconnaître que les Amazones n’étaient que le fruit de l’imaginaire grec. L’étude de la littérature grecque de la période classique confirme aussi abondamment cet état de chose. Mais, les travaux de la célèbre historienne des Sciences et Technologie de l’Antiquité Adrienne Mayor, intitulé Mythologie : les fières Amazones ont bel et bien existé, parus en 2018, permettent de comprendre que le terme Amazone n’était pas un terme grec à l’origine. À en croire cette icône des sciences historiques de l’université Stanford et première chercheure à mettre en avant la théorie selon laquelle l’observation des fossiles antiques d’espèces animales éteintes inspirerait la création de créatures mythiques, les Amazones seraient, au départ, des femmes d’un authentique peuple ayant vécu au IXe siècle avant Jésus-Christ en Eurasie, précisément en Scythie sur le vaste territoire étalé entre la mer Noire et la Mongolie. Au sein de ce peuple, disait-elle, le mode de vie encourageait l’égalité ; ce qui fait que les jeunes filles comme les jeunes garçons étaient formés à aller à cheval, à tirer à l’arc, à chasser, à piller et à combattre contre des tribus adverses pour assurer leur survie. Leurs armes de guerre étaient constituées de dards, de javelots, de lances, d’épées et de haches à simple ou double tranchant. Il en était pareil chez les Huns, les Mongols, les Tatares, les Uzbeks et les Tadjiks, etc. qui étaient tous des peuples voisins.

​Dès que les Grecs entrèrent en contact avec les Scythes au VIIe siècle avant notre ère, ils entreprirent, eux pour qui l’égalité entre hommes et femmes constituait un concept déconcertant, « le montage toute sorte de mythes visant à maintenir la femme au domicile familial dans des activités tels que le tissage ou la garde d’enfants au sein de leur propre société fortement patriarcale ». Homère introduisit alors pour la première fois le mot Amazone dans l’Iliade, la première œuvre de la littérature occidentale à laquelle l’Odyssée succéda. L’historien grec Hellanicos essaya, en 490 avant Jésus-Christ, un découpage phonétique du terme, prenant le radical « mazone » pour désigner le « sein » et le préfixe « a » la préposition adverbiale « sans ». Pour Hellanicos donc, Amazone (désignant une femme à forte poitrine en langue scythe ou mongole) serait une femme « privée d’un sein », le sein droit notamment qui lui permettrait de mieux armer et de tirer à son arc. De grands médecins grecs de l’époque tels que Hippocrate et Galien auraient soutenu l’idée d’une cautérisation au fer rouge ou l’excision du sein droit de ces femmes imaginaires dès leur tendre enfance. Ces « producteurs de mythes » furent contestés par certains de leurs contemporains. Aucun artiste de l’antiquité n’a intégré cette conception à ses travaux. Mais, elle prit une place importante dans l’imaginaire populaire grec jusque dans les années 1970 où les premières exhumations de kourganes (les tertres funéraires scythes), réalisées dans les années 1940, subirent des tests ADN et révélèrent que certains squelettes retrouvés avec des lances, des flèches, des haches et des chevaux appartenaient à des femmes. En 1980, un tiers des femmes scythes exhumées portaient sur leurs os des traces de blessures reçues au combat : côtes tailladées, crânes fracturés et bras cassés). En Arménie en 2017, des archéologues mirent au jour un squelette de femme portant une pointe de flèche plantée dans le fémur et d’autres séquelles caractéristiques des champs de bataille. Vers la fin de 2019, les fouilles menées dans la province russe de Voronej (où les Grecs auraient rencontré les Scythes) ont offert à la curiosité une dépouille de femme quarantenaire, ayant vécu au IVe siècle avant notre ère et enterrée en position de cavalière. Ces diverses grandes trouvailles archéologiques remettent en question toute la mythologie entretenue autour des Amazones dans la culture grecque.

La chasseresse devenue guerrière au Danxomè

Certaines sources orales (Daah Agnanmou Agoli-Agbo, Daah Goounha Mêlé Glèlè, Daah Bachalou Nondichao) et écrites : Dr. A. Répin (1830), J. Alfred Skertchly (1871-1872), Robin Law (1750) affirment que le roi Houégbadja eut recours à des femmes appelée gbétô pour chasser l’éléphant dont les défenses et la viande relevaient les fêtes royales. L’implication des femmes aux opérations militaires remonte au règne d’Akaba (1685-1708) et à l’initiative de Tassi Hangbé, sa sœur jumelle qui a aussi initié un dualisme institutionnel très original qui consistait à associer à tout fonctionnaire royal un homologue femme. La pratique s’est poursuivie sous le règne d’Agadja qui se servit d’une colonne de femmes pour détruire le royaume Sahè de Houffon en 1727 (Le Sieur Ringard) et repousser définitivement le souverain vaincu de Gléwxé (Ouidah) en 1729 (J. Melville Herskovits renchérit par Alfred Burdon Ellis). Mais, ce fut le roi Kpengla qui, le premier, leva une armée régulière de 800 femmes (Frederick E. Forbes, 1840). Le corps des femmes guerrières s’épaissit au fil des successions et atteignit 5 300 femmes sous le règne du roi Guézo puis amorça son amincissement pour ne rester que 2 700 au départ du roi Béhanzin en 1894.

​L’incorporation des femmes dans l’armée danxoméenne tenait essentiellement de la nécessité, pour les rois de soulager le rétrécissement de la population masculine provoqué par la guerre et à la préférence pour les hommes dans la traite des Noirs qui battait son plein à la côte. Pour parer au dépeuplement des hommes, les souverains étaient obligés d’opérer des ponctions régulières au sein des femmes (en surnombre) pour assouvir la vocation martiale du royaume (Commandore Arthur Parry Eardley Wilmot, 1862-1963). En dehors des filles d’anciennes guerrières qui héritaient d’office du métier de leur mère, les recrutements au profit des différents régiments d’Amazones s’appuyaient sur trois sources essentielles : les dons, la répression et la ponction. Les dons concernent les jeunes filles vierges que les chefs à divers niveaux de la hiérarchie administrative (Togan, Tokponlagan, Ahissinon, Dénugan, Donkpègan, etc.) livraient à cœur joie au roi qui était le Maître absolu des biens et de la vie de ses sujets. Certaines grandes familles (nobles et princières notamment) éprouvaient du plaisir à donner l’une de leurs filles au roi afin de mériter son estime et accroître leur influence et prestige au palais. Ces filles ainsi offertes à la couronne étaient irréprochables : très belles formes physiques, intelligentes, athlétiques et indemnes de toutes affections. La répression, quant à elle, offrait aux régiments des femmes accusées de crime ou d’adultère et condamnées à la peine capitale que le roi décide de racheter. On y trouvait aussi de jeunes épouses de gens ordinaires, incorrigiblement incontinentes, dévergondées et incontrôlables qui sont soustraites aux obligations du mariage et remises au roi pour être intégrées au corps des Amazones. À celles-ci s’ajoutaient les filles désobéissantes, récalcitrantes, acariâtres et irrécupérables que les familles signalent au roi pour être prises en charge (Hélène d’Almeida-Topor, 1984) ainsi que les jeunes femmes esclaves fortes de caractère, irréductibles aux travaux de ménage et qui ne purent être vendues au négriers. La troisième catégorie provenait des ponctions triennales que Kpakpa, un fonctionnaire de la cour chargé d’opérer pour le compte du palais. Ce contingent était également composé de jeunes filles vierges méticuleusement choisie dans les familles et jugées aptes à entrer au service du roi. Bref, les femmes guerrières du Danxomè provenaient de toutes les couches et de toutes les conditions sociales.

Une formation militaire rigoureuse et contraignante

​Les filles et femmes ainsi enrôlées étaient entrainées à l’usage et au maniement des armes sous la conduite d’officiers subordonnés de sexe féminin nommés par le roi. Elles reçoivent une formation initiale qui durait plusieurs mois et qui se poursuivait au fil du temps, à travers des entrainements spécifiques très rigoureux. Au cours de cette formation, elles étaient soumises à de rudes épreuves physiques et techniques visant à les préparer à la carrière militaire. On leur apprenait aussi à devenir forte, à supporter la souffrance, à se battre, à être rapide et intrépide, résistante et cruelles, possessive et endurante. À la fin de l’initiation, elles prennent le titre de Minon (notre mère) et sont réparties dans les différentes unités : les Djèdokpo (corps d’élite servant le roi), les Na- ahouannato (corps des princesses-Amazones), les Houisôdji (qui sont toujours sur le qui-vive), les Goulo-nantô (corps des fusières), les Agoodjié (corps des preneuse d’assaut) les Gohintô (corps des archères), les Nyekplo-hintô (corps des faucheuses) en fonction des performances acquises par chaque guerrière, recevaient les outils de leur nouveau métier : uniforme, lance, mousqueton, assommoir, coutelas, le casse-tête, cartouchière à compartiments, l’arc, le carquois, rasoir, etc. Ainsi, elles s’engagent pour une vie de célibat et acceptent le casernement et le port d’armes en temps de paix comme en temps de campagnes militaires. Lorsqu’elles sont reconnues de faits d’armes glorieux, elles sont élevées en grade par le roi qui leur offre des signes distinctifs (foulards, queues de cheval ou cheval) puis, elles reçoivent des récompenses de la Reine.

Les femmes guerrières du Danxomè sont des Amazones

L’appellation Amazone ne porte aucune considération dégradante pour les intrépides et vaillantes femmes qui ont défendu la couronne d’Agbomè de 1685 à 1894, soit plus de deux siècles durant. Archibald Dalzel (1740-1812), administrateur colonial et gouverneur de la Gold Coast (actuel Ghana) qui fut le premier à assimiler les femmes guerrières du Danxomè aux Amazones de l’Antiquité (Stanley B. Alpern) avance, dans l’ouvrage qui a écrit sur ce royaume en 1793, des arguments tenables soutenus par Victorien Richard Burton qui fut en mission diplomatique auprès du roi Glèlè de 1863 à 1864. Ces femmes, disait Dalzel, étaient pour la plupart d’une taille remarquable (environ 1,83 m) et d’une constitution physique assez robuste. Le développement des muscles chez elles était tel que dans de nombreux cas, leur féminité n’apparaissait qu’au niveau de la poitrine. Cette supériorité physique du "sexe travailleur", poursuivit-il, a conduit les Danxoméens à recourir aux femmes guerrières qui, naturellement jouaient les rôles de servantes domestiques, d’ouvrières agricoles et de mules des marchés (transporteuses de denrées). Leur organisation exceptionnelle leur permette d’entrer en lice avec les hommes quand il s’agissait d’endurer le labeur, les épreuves et les privations. Ces qualités physiques et militaires qui tranchent radicalement avec celles reconnues aux troupes guerrières conduites par d’autres figures de proue : Cléopâtre VII d’Egypte, Candace (ou Kandake) de Méroé, Nzinga de Matamba de l’Angola, Amina de l’Etat haoussa de Zazzau, Moremi Ajasoro d’Ile-Ife au Nigeria, Makeda de Saba, Muhumuza du Rwanda, Yaa Asantewa du Ghana, Kandake d’Éthiopie, etc. à travers toute l’Afrique, autorise une assimilation justifiée des guerrières du Danxomè aux Amazones scythes ayant nourri la mythologie de la Grèce Antique. C’est vrai que les Danxoméennes n’avaient pas guerroyé à cheval ou à dos d’autres animaux. Elles ne se servirent non plus de javelots pour combattre l’ennemi. Mais, de nombreux traits semblables à ceux des Amazones dépeintes dans l’imaginaire grec leur étaient reconnus : la soif de la guerre, la résistance à la souffrance, l’intrépidité, la bravoure, l’agressivité, l’adresse dans le maniement des armes, le courage, etc. Le jeu en vaut d’ailleurs la chandelle quand on sait qu’à l’image de ces fameuses Amazones de la mythologie grecque qui vivaient en marge de la société virile, Sinwé-Jaloukou, un village d’esclaves, fut transformé, sous le roi Guézo, en une véritable école de formation des femmes au métier d’armes. De plus, le nom "Agoodjié" n’était que celui d’une seule unité de femmes parmi tant d’autres. Dire que toutes les femmes guerrières du Danxomè étaient des "Agoodjié" relève de la méconnaissance de ce pan de l’histoire, tant il y avait d’autres unités féminines telles les Djèdokpo, les Na- ahouannato, les Houisôdji, les Goulo-nantô, les Gohintô, les Nyekplo-hintô, etc. Par ailleurs, personne ne s’offusque lorsque le "kanoumon" (en langue fon) ou le "èru" (en langue yoruba/nago) est appelé esclave. On accepte sans gêne que le vaste espace côtier séparant le Ghana du Nigeria via le Togo et le Bénin actuels soit pudiquement baptisé la "côte des esclaves". On n’éprouve aucune culpabilité à prénommer nos enfants d’Hélène, de Phoebe, de Candace, d’Hector, de Thésée, d’Achille ou d’Oscar. C’est vrai que les historiens africains (en collaboration avec les spécialistes des autres sciences humaines) ont encore la lourde responsabilité du combat pour la déconstruction et l’africanisation de l’histoire africaine et partant, de l’histoire dahoméenne. Mais, pour le moment, nous devons arrêter de nous auto-flageller et retrousser nos manches autour du développement du Bénin.

L’esplanade et la statue de l’Amazone conviennent à Cotonou

​Dans le royaume du Danxomè, toute femme non mariée était l’épouse potentielle du roi. Il arrivait même que ce dernier s’appropriât de femmes mariées dont les époux en souffraient sans pouvoir rien faire. Ainsi, les milliers de femmes ayant évolué sous le drapeau impérial ne l’étaient donc pas moins. On les appelait "Ahosi" même si elles n’avaient pas toutes la chance de partager la couche du souverain. Ce statut d’épouse "nominale" porté par ces femmes a induis la fonction militaire originelle de défense du palais royal et de la garde du corps physique du roi. De ce fait, elles contribuèrent avec rigueur et professionnalisme à assurer la sécurité de l’espace vital (l’intérieur du palais et même les abords extérieurs immédiats) de tous les "Dada" du Danxomè. Le palais ayant changé de position géographique à chaque règne, les Amazones s’astreignirent à l’assurance de cette sécurité tournante jusqu’à la capitulation du Danxomè en 1894.
​À sa prise de fonction, Victor Ballot, premier gouverneur de la colonie du Dahomey, dût déplacer le siège du gouvernorat à Porto-Novo pour éviter la navette entre Cotonou et la ville capitale dont l’accès par la lagune était difficile et risqué. Le gouverneur Ballot vécut donc à Porto-Novo de 1896 à 1899 puis, les 39 autres qui lui succédèrent, de Jean-Baptiste Fonssagrives à René Tirant firent de la cité des Ayinonvi le siège de l’administration coloniale. À l’indépendance du Dahomey le 1er août 1960, le président Hubert Koutoukou Maga délocalisa le siège du gouvernement vers Cotonou, la même année, pour des raisons liées à sa sécurité personnelle (D. S. Sotindjo, 2017 : 230). Depuis lors, la ville portuaire et industrielle du Bénin abrite sans bruit "le Palais de la Marina" qui se moderne au goût de ses différents locataires.
​Si donc hier, les Amazones ont éprouvé leurs talents militaires irréprochables à garder les rois du Danxomè et son centre de décision d’Agbomè, quel péché y a-t-il à aménager une "Esplanade" frappée de la "statue d’une Amazone" à Cotonou, entre le Boulevard de la Marina où siège le gouvernement de la République du Bénin (autre fois Dahomey) et l’Océan atlantique, porte maritime par laquelle des soldats coloniaux entrèrent et contre qui les Amazones résistèrent jusqu’à leur dernier souffle ? Cette initiative du gouvernement ne relève ni de la triche, ni de l’inculture encore moins de l’ignorance vectrice d’aliénation identitaire. L’Amazone est le meilleur référent que l’art identitaire béninois puisse offrir pour restituer, dans sa pureté originelle, l’histoire des femmes guerrières connue dans toutes les entités politiques centralisées du territoire de l’actuelle République du Bénin. Le Gouvernement est ingénieux de construire un ensemble des projets touristiques autour de cette statue et de l’esplanade qui lui est dédiée pour booster l’économie nationale qui a beaucoup à gagner en prenant l’appui méritoire sur l’art et la culture qui constituent les deux mamelles nourricières du tourisme international.
​Du moins, c’est ce que je pense

Dieudonné AWO, Enseignant d’histoire à l’université d’Abomey-Calavi




 
 

 
 
 

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